Chants pacifistes et antimilitaristes
Interprétés par Robert Hans
et son orgue de Barbarie
à l’occasion du colloque d’ADIAMOS-89
le 16 octobre 2004
L’antimilitarisme dans l’Yonne
avant 1914
autour de Gustave Hervé
et du Piou-Piou de l’Yonne
Quand au bout de huit jours, le repos terminé,
On va reprendre les tranchées
Notre place est si utile
Que sans nous on prend la pile.
Mais c’est bien fini, on en a assez.
Personne ne veut plus marcher.
Et le cœur bien gros comm’ dans un sanglot,
On dit adieu aux civelots.
Même sans tambour, même sans trompette,
On s’en va là-haut en baissant la tête.
Refrain
Adieu la vie, adieu l’amour,
Adieu toutes les femmes.
C’est bien fini, c’est pour toujours,
De cette guerre infâme.
C’est à Craonne, sur le plateau,
Qu’on doit laisser sa peau.
Car nous sommes tous condamnés.
Nous sommes les sacrifiés.
Huit jours de tranchées, huit jours de souffrance,
Pourtant on a l’espérance
Que ce soir viendra la relève
Que nous attendons sans trêve.
Soudain dans la nuit et dans le silence
On voit quelqu’un qui s’avance.
C’est un officier de chasseurs à pied
Qui vient nous remplacer.
Doucement dans l’ombre, sous la pluie qui tombe
Les petits chasseurs vont chercher leurs tombes.
Au refrain
C’est malheureux de voir sur les grands boulevards
Tous ces gros qui font la foire.
Si pour eux la vie est rose,
Pour nous, c’est pas la même chose.
Au lieu de s’cacher, tous ces embusqués,
Feraient mieux d’monter aux tranchées
Pour défendre leurs biens, car nous n’avons rien,
Nous autres, les pauvres purotins.
Tous les camarades sont étendus là
Pour défendre les biens de ces messieurs là.
Ceux qu’ont le pognon, ceux-là reviendront
Car c’est pour eux qu’on crève.
Mais c’est fini car les troufions
Vont tous se mettre en grève.
Ce sera votre tour, messieurs les gros,
De monter sur l’plateau,
Car si vous voulez la guerre,
Payez-la de votre peau.
On ne sait pas qui écrivit La Chanson de Craonne. Elle a été recueillie par R. Lefèvre et Paul Vaillant-Couturier (1882-1937, rédacteur en chef du journal communiste l’Humanité). Elle se chante sur l’air de Bonsoir m’amour (Sablon). Elle a circulé en 1917, après l’offensive Nivelle, et est symptomatique de la lassitude de la guerre qui a engendré de nombreuses mutineries. Sur le plateau de Craonne (Aisne) se déroulèrent de furieux combats en 1917 et 1918.
Sur c’te butt’-là y’avait pas d’gigolettes,
Pas de marlous ni de beaux muscadins.
Ah ! c’était loin du Moulin d’la Galette
Et de Panam’ qu’est le roi des pat’lins.
C’qu’elle en a bu du beau sang cette terre,
Sang d’ouvriers et sang de paysans,
Car les bandits qui sont cause de guerres,
N’en meurent jamais, on n’tue qu’les innocents !
La Butt’ Rouge, c’est son nom, l’baptême s’fit un matin
Où tous ceux qui montaient roulaient dans le ravin.
Aujourd’hui y’a des vignes, il y pousse du raisin.
Qui boira ce vin-là, boira l’sang des copains !
Sur c’te butt’-là on n’y f’sait pas la noce
Comme à Montmartre où l’champagne coule à flot ;
Mais les pauvr’s gars qu’avaient laissé des gosses
Y f’saient entendre de terribles sanglots !
C’qu’elle en a bu des larmes, cette terre,
Larm’s d’ouvriers, larmes de paysans,
Car les bandits qui sont cause des guerres
Ne pleurent jamais car ce sont des tyrans !
La Butt’ Rouge, c’est son nom, l’baptême s’fit un matin
Où tous ceux qui montaient roulaient dans le ravin.
Aujourd’hui y’a des vignes, il y pousse du raisin.
Qui boit de ce vin-là, boit les larmes des copains !
Sur c’te butt’-là on y r’fait des vendanges,
On y entend des cris et des chansons ;
Filles et gars doucement y échangent
Des mots d’amour qui donnent le frisson.
Peuvent-ils songer, dans leurs folles éreintes,
Qu’à cet endroit où s’échangent leurs baisers,
J’ai entendu, la nuit, monter des plaintes
Et j’y ai vu des gars au crâne brisé !
La Butt’ Rouge, c’est son nom, l’baptême s’fit un matin
Où tous ceux qui montaient roulaient dans le ravin.
Aujourd’hui y’a des vignes, il y pousse du raisin.
Mais, moi, j’y vois des croix portant l’nom des copains !
Si, en août 1914, on part sur le front « la fleur au fusil », la désillusion est rapide et l’horreur de la boucherie de la Première Guerre mondiale fait naître des sentiments antimilitaristes et pacifistes et inspire de nombreuses chansons parmi lesquelles La Butte Rouge et la Chanson de Craonne.
Paroles de Boris Vian (1954)
Musique de Boris Vian et Harold Berg
Monsieur le Président,
Je vous fais une lettre
Que vous lirez peut-être
Si vous avez le temps.
Je viens de recevoir
Mes papiers militaires
Pour partir à la guerre
Avant mercredi soir.
Monsieur le Président
Je ne veux pas la faire
Je ne suis pas sur terre
Pour tuer les pauvres gens.
C’est pas pour vous fâcher
Il faut que je vous dise
Ma décision est prise
Je m’en vais déserter.
Depuis que je suis né
J’ai vu mourir mon père
J’ai vu partir mes frères
Et des enfants pleurer.
Ma mère a tant souffert
Qu’elle est dedans sa tombe
Et se moque des bombes
Et se moque des vers
Quand j’étais prisonnier
On m’a volé ma femme
On m’a volé mon âme
Et tout mon cher passé.
Demain de bon matin
Je fermerai ma porte
Au nez des années mortes
J’irai sur les chemins.
Je mendierai ma vie
Sur les routes de France
De Bretagne en Provence
Et je dirai aux gens :
Refusez d’obéir
Refusez de la faire
N’allez pas à la guerre
Refusez de partir.
S’il faut donner son sang
Allez donner le vôtre
Vous êtes bon apôtre
Monsieur le Président.
Si vous me poursuivez
Prévenez vos gendarmes
Que je n’aurai pas d’armes
Et qu’ils pourront tirer.
Boris Vian écrivit cette chanson en pleine guerre d’Indochine. Elle fut chantée pour la première fois, par Mouloudji le 7 mars 1954, jour de la chute de Dien Bien Phu. Par crainte de la censure, Mouloudji remplaça « Monsieur le Président » par « Messieurs qu’on nomme grands ». Boris Vian enregistra la version primitive 10 mois plus tard. Elle fut immédiatement interdite. Elle resurgit dès la fin des années 50 et fut chantée tout au long des années 60 par les jeunesses du monde entier qui refusaient de se battre pour des causes injustes (guerres d’Algérie, du Viet-Nam…). Elle fut reprise aux USA par Peter, Paul and Mary et Joan Baez. A l’occasion du 8 mai 1999, à Montluçon, une directrice d’école l’ayant fait chanter lors de la cérémonie commémorative s’est vu infliger une sanction par sa hiérarchie (sanction retirée devant les protestations). Certains prétendent que les deux derniers vers de la version originale étaient : « Que je tiendrai une arme / Et que je sais tirer », ce qui semble en contradiction avec l’esprit de la chanson.
Rosa Holt – Henri Goublier - 1935
Que tu as la maison douce
Giroflé Girofla
L’herbe y croît, les fleurs y poussent
Le printemps est là.
Dans la nuit qui devient rousse
Giroflé Girofla
L’avion la brûlera. (bis)
Que tu as de beaux champs d’orge
Giroflé Girofla
Ton grenier de fruits regorge
L’abondance est là.
Entends-tu souffler la forge
Giroflé Girofla
L’canon les fauchera. (bis)
Que tu as de belles filles
Giroflé Girofla
Dans leurs yeux où la joie brille
L’amour descendra.
Dans la plaine on se fusille
Giroflé Girofla
L’soldat les violera. (bis)
Que tes fils sont forts et tendres
Giroflé Girofla
Ça fait plaisir d’les entendre
A qui chantera.
Dans huit jours on va t’les prendre
Giroflé Girofla
L’corbeau les mangera. (bis)
Tant qu’y aura des militaires
Soit ton fils soit le mien
Y n’pourra y avoir sur terre
Pas grand-chose de bien.
On t’ tuera pour te faire taire
Par derrière comme un chien
Et tout ça pour rien. (bis)
Giroflé Girofla est une des chansons les plus poignantes du répertoire pacifiste et antimilitariste. Elle a été écrite en 1935 par Rosa Holt. Elle dénonce l’atrocité de la guerre pour les populations civiles. C’est aussi l’époque de l’arrivée de Hitler au pouvoir. Le chauvinisme se développe et la jeunesse est embrigadée dans l’armée. Yves Montant a interprété cette chanson de façon remarquable (Yves Montant « Chansons populaires de France » Sony Music).
Musique de Rouget-de-Lisle
De l’universelle patrie
Puisse venir le jour rêvé !
De la paix, de la paix chérie
Le rameau sauveur est levé (bis).
On entendra vers les frontières,
Les peuples se tenant les bras,
Crier : il n’est plus de soldats !
Soyons unis, nous sommes frères !
Refrain
Plus d’armes citoyens !
Rompez vos bataillons !
Chantez, chantons !
Et que la paix féconde nos sillons !
Quoi ! D’éternelles représailles,
Tiendraient en suspens notre sort !
Quoi ! Toujours d’horribles batailles
Le pillage, le feu, la mort (bis).
C’est trop de siècles de souffrance,
De haine et de sang répandu !
Humains, quand nous l’aurons voulu
Sonnera notre délivrance !
Plus de fusils, plus de cartouches,
Engins maudits et destructeurs !
Plus de cris, plus de chants farouches
Outrageants et provocateurs (bis).
Pour les penseurs quelle victoire !
De montrer à l’humanité,
De la guerre l’atrocité,
Sous l’éclat d’une fausse gloire !
Debout ! Pacifiques cohortes !
Hommes des champs et des cités,
Avec transport, ouvrez vos portes
Aux trésors, fruits des libertés (bis).
Que le fer déchire la terre,
Et pour ce combat tout d’amour,
En nobles outils de labour
Reforgeons les armes de guerre.
En trait de feu par vous lancée,
Artistes, poètes, savants,
Répandez partout la pensée.
L’avenir vous voit triomphants (bis).
Allez, brisez le vieux servage,
Inspirez-nous l’effort vainqueur
Pour la conquête du bonheur,
Ce sont les lauriers de notre âge.
La Marseillaise a été très souvent adaptée et mise au service de causes diverses (il existe, par exemple, une Marseillaise anticléricale).
Cette version-ci date de 1893. Elle a été publiée dans le journal pédagogique « Après l’école ».
Elle prend le contre-pied exact de la Marseillaise de 1792 qui était une chanson de guerre et de combat au service de la Révolution, avant de devenir l’hymne officiel de la République en 1879.
L’auteur de la Marseillaise de la Paix a conservé le caractère très XVIIIe siècle de la version d’origine en reprenant les exclamations (« Quoi ! »), les formes archaïsantes et les inversions (« De la paix, de la paix chérie, le rameau sauveur est levé ») qui rappellent le fameux « Contre nous de la tyrannie, l’étendard sanglant est levé ». Enfin le refrain « aux armes, citoyens » devient « Plus d’armes, citoyens » et fait de cette Marseillaise de la paix un véritable décalque en négatif de la « vraie » Marseillaise.
Légitime était votre colère,
Le refus était un grand devoir.
On ne doit pas tuer ses pères et mères,
Pour les grands qui sont au pouvoir.
Soldats votre conscience est nette :
On n’se tue pas entre Français ;
Refusant d’rougir vos baïonnettes
Petits soldats, oui, vous avez bien fait.
Refrain
Salut, salut à vous
Braves soldats du 17e ;
Salut, braves pioupious
Chacun vous admire et vous aime ;
Salut, salut à vous,
A votre geste magnifique ;
Vous auriez, en tirant sur nous,
Assassiné la République.
Comme les autres vous aimez la France,
J’en suis sûr, même vous l’aimez bien.
Mais sous votre pantalon garance,
Vous êtes restés des citoyens.
La patrie, c’est d’abord sa mère,
Celle qui vous a donné le sein,
Il vaut mieux, même, aller aux galères,
Que d’accepter d’être son assassin.
Espérons qu’un jour viendra en France,
Où la paix, la concorde régnera.
Ayons tous au cœur cette espérance
Que bientôt ce grand jour viendra.
Vous avez j’té la première graine
Dans le sillon de l’Humanité.
La récolte sera prochaine,
Et ce jour-là, vous serez tous fêtés.
Cette chanson, très célèbre, a été écrite au moment de la révolte des viticulteurs du Midi en 1907, en hommage aux soldats du 17eme de ligne qui fraternisèrent avec les manifestants. Le régiment mit la crosse en l’air et refusa de tirer. Il faut dire qu’à l’époque les jeunes gens faisaient leur service militaire dans leur région d’origine. Ceux que les soldats du 17eme avaient en face d’eux étaient leurs pères, leurs mères, leurs frères ou leurs cousins.
L’auteur, Montéhus (1872 – 1952), de son vrai nom, Gaston Brunswick, était très connu de son vivant comme auteur et interprète. Il était membre du Parti socialiste. Il se produisait au théâtre de Belleville où Lénine aimait allait l’écouter pendant son exil à Paris. Il est également l’auteur de « La Jeune Garde ».
Puisque le feu et la mitraille,
Puisque les fusils, les canons,
Font dans le monde des entailles
Couvrant de morts les plaines et les vallons,
Puisque les hommes sont des sauvages
Qui renient le dieu Fraternité,
Femmes debout ! Femmes à l’ouvrage !
Il faut sauver l’Humanité.
Refrain :
Refuse de peupler la terre !
Arrête la fécondité !
Déclare la grève des mères !
Aux bourreaux crie ta volonté !
Défends ta chair, défends ton sang !
A bas la guerre et les tyrans !
Pour faire de ton fils un homme,
Tu as peiné pendant vingt ans,
Tandis que la gueuse en assomme
En vingt secondes des régiments.
L’enfant qui fut ton espérance,
L’être qui fut nourri en ton sein,
Meurt dans d’horribles souffrances,
Te laissant, vieille, souvent sans pain.
Est-ce que le ciel a des frontières ?
Ne couvre-t-il pas le monde entier ?
Pourquoi sur Terre des barrières ?
Pourquoi d’éternels crucifiés ?
Le meurtre n’est pas une victoire !
Qui sème la mort est un maudit !
Nous ne voulons plus, pour votre gloire,
Donner la chair de nos petits.
Montéhus (1872 – 1952), de son vrai nom, Gaston Brunswick, écrivit cette chanson en 1905, au plus fort de la vague pacifiste et antimilitariste. Dans cette chanson il fait appel aux mères. Il leur demande de faire la « grève des mères », c’est à dire la « grève des ventres ». Ne plus procréer, ne plus faire d’enfants puisque c’est pour les envoyer à la guerre, tel est le mot d’ordre. La « gueuse » dont il est question dans la chanson c’est la guerre. Les « barrières », ce sont les frontières, dont le mouvement pacifiste et internationaliste demande l’abolition, y voyant un obstacle à la paix universelle. Le « votre gloire » renvoie aux puissants qui gouvernent le monde et aux chefs militaires.