ADIAMOS-89
Association pour la Documentation, l'Information et l'Archivage des Mouvements Sociaux
 
 
Chansons de la Commune 
et des débuts de la Troisième République

Chants du mouvement ouvrier
Interprétés par Robert Hans
et son orgue de Barbarie
à l’occasion du colloque d’ADIAMOS-89

« Zéphirin Camélinat
(1840-1932)

l'homme, le militant, le symbole »
les 11 et 12 octobre 2003

 


 

 

LES CANUTS

Aristide Bruant (1894)

 

Pour chanter Veni Creator

Il faut une chasuble d'or

Pour chanter Veni Creator

Il faut une chasuble d'or

Nous en tissons pour vous gens de l'église

Et nous pauvres canuts n'avons pas de chemise

 

C'est nous les canuts

Nous sommes tout nus

 

Pour gouverner il faut avoir

Manteaux et rubans en sautoir

Pour gouverner il faut avoir

Manteaux et rubans en sautoir

Nous en tissons pour vous grands de la terre

Et nous pauvres canuts sans drap on nous enterre

 

C'est nous les canuts

Nous sommes tout nus

 

Mais notre règne arrivera

Quand votre règne finira

Mais notre règne arrivera

Quand votre règne finira

Nous tisserons le linceul du vieux monde

Et l' on entend déjà la révolte qui gronde

 

C'est nous les canuts

Nous n'irons plus nus

 


Le grand métingue du Métropolitain

Maurice Mac-Nab – Camille Baron - 1885

 

C’était hier, samedi, jour de paye,

Et le soleil se levait sur nos fronts.

J’avais déjà vidé plus d’une bouteille,

Si bien qu’j’m’avais jamais trouvé si rond.

V’là la bourgeoise qui rapplique devant l’zing :

« Feignant qu’elle dit, t’as donc lâché l’turbin ?

- Oui, que j’réponds, car je vais au métingue, )

Au grand métingue du Métropolitain ! » ) (bis)
 

Les citoyens, dans un élan sublime,

Etaient venus, guidés par la raison.

A la porte, on donnait vingt-cinq centimes

Pour soutenir les grèves de Vierzon.

Bref, à part quatre municipaux qui chlinguent

Et trois sergots déguisés en pékin,

J’ai jamais vu de plus chouette métingue, )

Que le métingue du Métropolitain ! ) (bis)
 

Y’avait Basly, le mineur indomptable,

Camélinat, l’orgueil du pays…

Ils sont grimpés tous deux sur une table,

Pour mettre la question sur le tapis.

Mais, tout à coup, on entend du bastringue :

C’est un mouchard qui veut faire le malin !

Il est venu pour troubler le métingue, )

Le grand métingue du Métropolitain ! ) (bis)
 

Moi, j’tombe dessus et, pendant qu’il proteste,

D’un grand coup d’poing j’y renfonce son chapeau !

Il déguerpit sans demander son reste,

En faisant signe aux quatre municipaux.

A la faveur de c’que j’étais brind’zingue,

On m’a conduit jusqu’au poste voisin ;

Et c’est comme ça qu’a fini le métingue )

Le grand métingue du Métropolitain ! ) (bis)
 

Peuple français, la Bastille est détruite,

Mais y’a encore des cachots pour tes fils !

Souviens-toi des géants de quarante-huit,

Qu’étaient plus grands qu’ceuss’ du jour d’aujourd’hui !

Car c’est toujours l’pauvre ouvrier qui trinque,

Même qu’on le fourre au violon pour un rien !

C’était tout d’même un bien chouette métingue )

Que le métingue du Métropolitain ! ) (bis)

Mac-Nab n’est pas un chansonnier révolutionnaire. Ses idées politiques étaient conservatrices. Mais ses chansons, pleines de malice, furent adoptées par ceux dont elles étaient supposées se moquer. Le Métropolitain dont il est question est une salle lilloise affectée aux grandes réunions publiques. Basly fut mineur avant de devenir député. Camélinat fut ouvrier bronzier, directeur de la Monnaie sous la Commune, député en 1885.



 

L'Expulsion

Maurice MAC NAB et

Camille BARON (1886)

On n’en finira donc jamais

Avec tous ces nom de dieu d’princes !

Faudrait qu’on les expulserait

Et l’sang du peuple il crie « vingince ! »

Pourquoi qu’ils ont des trains royaux,

Qu’ils éclaboussent avec leur lusque

Les conseillers municipaux

Qui peut pas s’payer des belles frusques ?

 

 

D’abord, les d’Orléans, pourquoi

Qu’il marie pas ses filles en France,

Avec un bon vieux zigue comme moi

Au lieu du citoyen Brangance ?

C’est-il ça d’la fraternité ?

C’est-il ça d’la délicatesse ?

On leur donne l’hospitalité

Qu’ils nous foutent au moins leurs gonzesses

 

Bragance, on l’connaît, c’t’oiseau-là.

Faut-il que son orgueil soy’ profonde

Pour s’êt’ foutu un nom comme ça !

Peut donc pas s’app’ler comm’ tout l’monde ?

Pourquoi qu’il nage dans les millions

Quand nous aut’ nous sons dans la dèche ?

Faut qu’on les expulse aussi… Mais non,

Il est en Espagne, y’a pas mèche !

 

Ensuit’ y a les Napoléon,

Des muff’ qu’a toujours la colique

Et qui fait dans ses pantalons

Pour embêter la République !

Plonplon ! Si tu réclames encore,

On va t’fair’ passer la frontière

Faut pas non plus rater Victor

Il est plus canaill’ que son père !

 

Moi j’vas vous dire la vérité :

Les princ’il est capitalisse

Et l’travailleur est exploité,

C’est ça la mor du socialisse

Ah ! si on écoutait Basly

On confisquerait leur galette,

Avec quoi qu’l’anarchisse aussi

Il pourra s’flanquer des noc’ chouettes !

 

Les princes c’est pas tout : Plus d’ curés

Plus d’gendarmes, plus d’mélétaires

Plus d’richards à lambris dorés

Qui boit la sueur du prolétaire.

Qu’on expulse aussi Léon Say

Pour que l’mineur il s’affranchisse.

Enfin, qu’tout l’monde soye explulsé :

Il rest’ra plus qu’ les anarchisses !

 

Elle n’est pas morte

Eugène Pottier – Parizot - 1885

 

On l’a tuée à coups d’chassepot,

A coups de mitrailleuse,

Et roulée avec son drapeau

Dans la terre argileuse.

Et la tourbe des bourreaux gras

Se croyait la plus forte.
 

Refrain

Tout ça n’empêche pas, Nicolas, )

Qu’la Commune n’est pas morte ! ) (bis)
 

Comme faucheurs rasant un pré,

Comme on abat des pommes,

Les Versaillais ont massacré

Pour le moins cent mille hommes.

Et les cent mille assassinats,

Voyez c’que ça rapporte.


Refrain


On a bien fusillé Varlin,

Flourens, Duval, Millière,

Ferré, Rigault, Tony Moilin,

Gavé le cimetière.

On croyait lui couper les bras

Et lui vider l’aorte.


Refrain


Ils ont fait acte de bandits,

Comptant sur le silence !

Achevé les blessés dans leurs lits,

Dans leurs lits d’ambulance ;

Et le sang inondant les draps

Ruisselait sous la porte.
 

Refrain


Les journalistes policiers,

Marchands de calomnies,

Ont répandu sur nos charniers

Leurs flots d’ignominies,

Les Maxim’ Ducamp, les Dumas

Ont vomi leur eau-forte.


Refrain


C’est la hache de Damoclès

Qui plane sur leurs têtes.

A l’enterrement de Vallès

Ils en étaient tout bêtes ;

L’fait est qu’on était un fier tas

A lui servir d’escorte.

Refrain


Bref, tout ça prouve aux combattants

Qu’Marianne a la peau brune,

Du chien dans l’ventre et qu’il est temps

D’crier : « Vive la Commune ! »

Et ça prouve à tous les Judas

Qu’si ça marche de la sorte,

 

Refrain final


Ils sentiront dans peu, Nom de Dieu !)

Qu’la Commune n’est pas morte ! ) (bis)

 

Quand Jules Vallès mourut, en 1885, plus de soixante mille personnes assistèrent à ses funérailles. Devant une telle foule, Eugène Pottier ne put que se réjouir, en constatant que l’esprit de la Commune n’était pas mort sous les balles des Versaillais qui avaient assassiné Eugène Varlin, le professeur Gustave Flourens, Emile Duval, Jean-Baptiste Millière, Théophile Ferré, Raoul Rigault, Tony Moilin et tant d’autres. Elle n’est pas morte fut donc écrite dans l’enthousiasme des jours qui suivirent l’enterrement de Vallès. La musique utilisée par Pottier est celle de T’en fais pas, Nicolas, de Parizot.

 

 

La semaine sanglante

Jean-Baptiste Clément – Pierre Dupont – 1871

 

Sauf des mouchards et des gendarmes,

On ne voit plus par les chemins

Que des vieillards tristes aux larmes,

Des veuves et des orphelins.

Paris suinte la misère,

Les heureux mêmes sont tremblants,

La mode est au conseil de guerre

Et les pavés sont tout sanglants.


Refrain
 

Oui, mais…

Ça branle dans le manche.

Ces mauvais jours-là finiront.

Et gare à la revanche

Quand tous les pauvres s’y mettront ! (bis)
 

Les journaux de l’ex-préfecture,

Les flibustiers, les gens tarés,

Les parvenus par aventure,

Les complaisants, les décorés,

Gens de bourse et de coin de rue,

Amants de filles aux rebuts,

Grouillent comme un tas de verrues

Sur les cadavres des vaincus.


Refrain


On traque, on enchaîne, on fusille

Tout ce qu’on ramasse au hasard :

La mère à côté de sa fille,

L’enfant dans les bras du vieillard.

Les châtiments du drapeau rouge

Sont remplacés par la terreur

De tous les chenapans de bouge,

Valets de rois et d’empereurs.


Refrain


Nous voilà rendus aux jésuites,

Aux Mac-Mahon, aux Dupanloup.

Il va pleuvoir des eaux bénites,

Les troncs vont faire un argent fou.

Dès demain, en réjouissance,

Et Saint-Eustache et l'Opéra

Vont se refaire concurrence.

Et le bagne se peuplera.


Refrain


Demain, les manons, les lorettes

Et les dames des beaux faubourgs

Porteront sur leurs collerettes

Des chassepots et des tambours.

On mettra tout au tricolore,

Les plats du jour et les rubans,

Pendant que le héros Pandore

Fera fusiller nos enfants.


Refrain


Demain les gens de la police

Refleuriront sur le trottoir,

Fiers de leurs états de service

Et le pistolet en sautoir.

Sans pain, sans travail et sans armes,

Nous allons être gouvernés

Par des mouchards et des gendarmes,

Des sabre-peuple et des curés.


Refrain


Le peuple au collier de misère

Sera-t-il donc toujours rivé ?…

Jusques à quand les gens de guerre

Tiendront-ils le haut du pavé ?…

Jusques à quand la sainte clique

Nous croira-t-elle un vil bétail ?…

A quand enfin la République

De la justice et du travail ?…
 

Refrain

 

Aux derniers jours de mai 1871 s’achève l’épisode de la Commune. Les Versaillais reprennent Paris rue par rue. Le massacre est épouvantable. Jean-Baptiste Clément écrivit cette chanson quelques jours seulement après les événements, en juin 1871, alors qu’il était réfugié dans un grenier, en attendant l’occasion de passer en Angleterre. La mélodie qu’il utilise est celle du Chant des paysans, de Pierre Dupont.


 

Le temps des cerises

Jean-Baptiste Clément – Antoine Renard – 1866

 

Quand nous chanterons le temps des cerises,

Les gais rossignols, les merles moqueurs

Seront tous en fête !

Les belles auront la folie en tête

Et les amoureux, du soleil au cœur !

Quand nous chanterons le temps des cerises

Sifflera bien mieux le merle moqueur !

 

Mais il est bien court, le temps des cerises

Où l’on s’en va deux cueillir en rêvant

Des pendants d’oreilles.

Cerises d’amour, aux robes pareilles,

Tombant sous la feuille en gouttes de sang…

Mais il est bien court, le temps des cerises

Pendants de corail qu’on cueille en rêvant !

 

Quand vous en serez au temps des cerises

Si vous avez peur des chagrins d’amour,

Evitez les belles !

Moi qui ne crains pas les peines cruelles

Je ne vivrai point sans souffrir un jour…

Quand vous en serez au temps des cerises

Vous aurez aussi des peines d’amour !

 

J’aimerai toujours, le temps des cerises,

C’est de ce temps-là que je garde au cœur

Une plaie ouverte !

Et dame Fortune en m’étant offerte

Ne pourra jamais fermer ma douleur…

J’aimerai toujours le temps des cerises

Et le souvenir que je garde au cœur !
 

Contrairement à une opinion souvent répandue, Le temps des cerises ne date pas de la Commune de Paris. Jean-Baptiste Clément en écrivit les paroles en 1866, et Antoine Renard, la musique en 1868, année où elle fut publiée par l’éditeur Charles Egrot. Mais – cela est vrai – cette merveilleuse chanson d’amour symbolise à jamais l’esprit de la Commune dans le cœur de tous les amants de la révolte.

 

 

La Morvandelle

Maurice Bouchor - 1903

 

Allons les Morvandiaux, chantons la Morvandelle.

Chantons les claires eaux et la forêt si belle.

La truite aux bonds légers dans les roseaux fleuris

Et notre bois flottant qui vogue vers Paris.

 

Il souffle un âpre vent parmi nos solitudes.

On dit que le Morvan est un pays bien rude.

Mais s’il est pauvre et fier, il nous plaît mieux ainsi.

Et qui ne l’aime pas, n’est certes pas d’ici.

 

On veut la liberté dans nos montagnes noires.

Nos pères ont lutté pour elle et non sans gloire.

Rêveurs de coups d’état, César de quatre sous,

Les braves Morvandiaux se moquent bien de vous !

 

Jadis on nous l’a dit, surgirent nos ancêtres.

Brisant le joug maudit de leurs avides maîtres,

Ils firent bien danser les moines, leurs seigneurs,

Repus de leur misère et gras de leur sueur.

 

Pourtant, nous subissons un reste d’esclavage.

Pourquoi les nourrissons privés du cher breuvage ?

Gardons, ô mes amis, nos femmes près de nous.

Nos filles et nos fils ont droit à leurs nounous.

 

Allons les Morvandiaux, chantons la Morvandelle,

Les bois, les prés, les eaux, aimés d’un cœur fidèle.

Nos bûches qui s’en vont, Paris s’en chauffera.

Nos gars et leurs mamans, Paris s’en passera.

 

La Morvandelle (origines, d’après J. Bruley)

En 1903, lors d’un banquet d’instituteurs dans la Nièvre, l’Inspecteur d’Académie, M. Dessey, a invité Maurice Bouchor, un poète qui a écrit des recueils de chants et de poésies destinés aux écoles. Dans ses écrits, Bouchor vante les différentes provinces françaises, mais il n’y a rien sur le Morvan.

Les instituteurs présents évoquent leur région et ses coutumes : eaux vives, forêts, flottage du bois vers Paris, les galvachers, les nourrices… et le conflit qui oppose les moines de la Commune libre de Vézelay, seigneurs du lieu, aux paysans, leurs vassaux, exploités et miséreux.

Bouchor compose alors, sur un vieil air très connu en Morvan, « Le Galant de la Nan-nette », une chanson de six couplets. Très vite, « La Morvandelle » - c’est le titre qu’il a choisi – connaît un grand succès dans les écoles, en particulier celles du Morvan.

Mais, dans les années qui ont suivi, « La Morvandelle » est interdite dans les écoles à cause du couplet sur la Commune de Vézelay qui dérange… On décide donc de supprimer ce couplet, (celui qui commence par « Jadis, on nous l’a dit… ») et la chanson est de nouveau autorisée.

Maryse Martin, chanteuse populaire des années 50, originaire d’Amazy, près de Tannay, dans la Nièvre, où elle a gardé des attaches jusqu’à la fin de sa vie, a repris cette chanson et lui a fait connaître un nouveau succès.
 


L’Internationale

Eugène Pottier (1871)

 

Debout les damnés de la terre

Debout les forçats de la faim

La raison tonne en son cratère

C’est l’éruption de la fin

Du passé, faisons table rase

Foule esclave debout debout

Le monde va changer de base

Nous ne sommes rien soyons tout
 

REFRAIN

C’est la lutte finale

Groupons-nous et demain

L’Internationale

Sera le genre humain

 

Il n’est pas de sauveurs suprêmes

Ni Dieu ni César ni tribun

Producteurs sauvons-nous nous-mêmes

Décrétons le salut commun

Pour que le voleur rende gorge

Pour tirer l’esprit du cachot

Soufflons nous-mêmes notre forge

Battons le fer quand il est chaud

 

L'état comprime la loi triche

L'impôt saigne le malheureux

Nul devoir ne s'impose aux riches

Le droit du pauvre est un mot creux

C'est assez languir en tutelle

L'égalité veut d'autres lois

Pas de droits sans devoirs dit-elle

Egaux pas de devoirs sans droit

 

Les rois nous saoulaient de fumées

Paix entre nous guerre aux tyrans

Appliquons la grève aux armées

Crosse en l'air et rompons les rangs

S'ils s'obstinent ces cannibales

Á faire de nous des héros

Ils sauront bientôt que nos balles

Sont pour nos propres généraux

 

Ouvriers paysans, nous sommes

Le grand Parti des travailleurs

La terre n’appartient qu’aux hommes

L’oisif ira loger ailleurs

Combien de nos chairs se repaissent

Mais si les corbeaux les vautours

Un de ces matins disparaissent

Le soleil brillera toujours

 

Hideux dans leur apothéose

Les rois de la mine et du rail

Ont-ils jamais fait autre chose

Que dévaliser le travail ?

Dans les coffres-forts de la banque

Ce qu'il a créé s'est fondu

En réclamant qu'on le lui rende

Le Peuple ne veut que son dû

 

 

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