« Zéphirin Camélinat
(1840-1932)
l'homme, le militant, le symbole »
les 11 et 12 octobre 2003
LES CANUTS
Aristide Bruant (1894)
Pour chanter Veni Creator
Il faut une chasuble d'or
Pour chanter Veni Creator
Il faut une chasuble d'or
Nous en tissons pour vous gens de l'église
Et nous pauvres canuts n'avons pas de chemise
C'est nous les canuts
Nous sommes tout nus
Pour gouverner il faut avoir
Manteaux et rubans en sautoir
Pour gouverner il faut avoir
Manteaux et rubans en sautoir
Nous en tissons pour vous grands de la terre
Et nous pauvres canuts sans drap on nous enterre
C'est nous les canuts
Nous sommes tout nus
Mais notre règne arrivera
Quand votre règne finira
Mais notre règne arrivera
Quand votre règne finira
Nous tisserons le linceul du vieux monde
Et l' on entend déjà la révolte qui gronde
C'est nous les canuts
Nous n'irons plus nus
Le grand métingue du Métropolitain
Maurice Mac-Nab – Camille Baron - 1885
C’était hier, samedi, jour de paye,
Et le soleil se levait sur nos fronts.
J’avais déjà vidé plus d’une bouteille,
Si bien qu’j’m’avais jamais trouvé si rond.
V’là la bourgeoise qui rapplique devant l’zing :
« Feignant qu’elle dit, t’as donc lâché l’turbin ?
- Oui, que j’réponds, car je vais au métingue, )
Au grand métingue du Métropolitain ! » ) (bis)
Les citoyens, dans un élan sublime,
Etaient venus, guidés par la raison.
A la porte, on donnait vingt-cinq centimes
Pour soutenir les grèves de Vierzon.
Bref, à part quatre municipaux qui chlinguent
Et trois sergots déguisés en pékin,
J’ai jamais vu de plus chouette métingue, )
Que le métingue du Métropolitain ! ) (bis)
Y’avait Basly, le mineur indomptable,
Camélinat, l’orgueil du pays…
Ils sont grimpés tous deux sur une table,
Pour mettre la question sur le tapis.
Mais, tout à coup, on entend du bastringue :
C’est un mouchard qui veut faire le malin !
Il est venu pour troubler le métingue, )
Le grand métingue du Métropolitain ! ) (bis)
Moi, j’tombe dessus et, pendant qu’il proteste,
D’un grand coup d’poing j’y renfonce son chapeau !
Il déguerpit sans demander son reste,
En faisant signe aux quatre municipaux.
A la faveur de c’que j’étais brind’zingue,
On m’a conduit jusqu’au poste voisin ;
Et c’est comme ça qu’a fini le métingue )
Le grand métingue du Métropolitain ! ) (bis)
Peuple français, la Bastille est détruite,
Mais y’a encore des cachots pour tes fils !
Souviens-toi des géants de quarante-huit,
Qu’étaient plus grands qu’ceuss’ du jour d’aujourd’hui !
Car c’est toujours l’pauvre ouvrier qui trinque,
Même qu’on le fourre au violon pour un rien !
C’était tout d’même un bien chouette métingue )
Que le métingue du Métropolitain ! ) (bis)
Mac-Nab n’est pas un chansonnier révolutionnaire. Ses idées politiques étaient conservatrices. Mais ses chansons, pleines de malice, furent adoptées par ceux dont elles étaient supposées se moquer. Le Métropolitain dont il est question est une salle lilloise affectée aux grandes réunions publiques. Basly fut mineur avant de devenir député. Camélinat fut ouvrier bronzier, directeur de la Monnaie sous la Commune, député en 1885.
L'Expulsion
Maurice MAC NAB et
Camille BARON (1886)
On n’en finira donc jamais
Avec tous ces nom de dieu d’princes !
Faudrait qu’on les expulserait
Et l’sang du peuple il crie « vingince ! »
Pourquoi qu’ils ont des trains royaux,
Qu’ils éclaboussent avec leur lusque
Les conseillers municipaux
Qui peut pas s’payer des belles frusques ?
D’abord, les d’Orléans, pourquoi
Qu’il marie pas ses filles en France,
Avec un bon vieux zigue comme moi
Au lieu du citoyen Brangance ?
C’est-il ça d’la fraternité ?
C’est-il ça d’la délicatesse ?
On leur donne l’hospitalité
Qu’ils nous foutent au moins leurs gonzesses
Bragance, on l’connaît, c’t’oiseau-là.
Faut-il que son orgueil soy’ profonde
Pour s’êt’ foutu un nom comme ça !
Peut donc pas s’app’ler comm’ tout l’monde ?
Pourquoi qu’il nage dans les millions
Quand nous aut’ nous sons dans la dèche ?
Faut qu’on les expulse aussi… Mais non,
Il est en Espagne, y’a pas mèche !
Ensuit’ y a les Napoléon,
Des muff’ qu’a toujours la colique
Et qui fait dans ses pantalons
Pour embêter la République !
Plonplon ! Si tu réclames encore,
On va t’fair’ passer la frontière
Faut pas non plus rater Victor
Il est plus canaill’ que son père !
Moi j’vas vous dire la vérité :
Les princ’il est capitalisse
Et l’travailleur est exploité,
C’est ça la mor du socialisse
Ah ! si on écoutait Basly
On confisquerait leur galette,
Avec quoi qu’l’anarchisse aussi
Il pourra s’flanquer des noc’ chouettes !
Les princes c’est pas tout : Plus d’ curés
Plus d’gendarmes, plus d’mélétaires
Plus d’richards à lambris dorés
Qui boit la sueur du prolétaire.
Qu’on expulse aussi Léon Say
Pour que l’mineur il s’affranchisse.
Enfin, qu’tout l’monde soye explulsé :
Il rest’ra plus qu’ les anarchisses !
Elle n’est pas morte
Eugène Pottier – Parizot - 1885
On l’a tuée à coups d’chassepot,
A coups de mitrailleuse,
Et roulée avec son drapeau
Dans la terre argileuse.
Et la tourbe des bourreaux gras
Se croyait la plus forte.
Tout ça n’empêche pas, Nicolas, )
Qu’la Commune n’est pas morte ! ) (bis)
Comme faucheurs rasant un pré,
Comme on abat des pommes,
Les Versaillais ont massacré
Pour le moins cent mille hommes.
Et les cent mille assassinats,
Voyez c’que ça rapporte.
Refrain
On a bien fusillé Varlin,
Flourens, Duval, Millière,
Ferré, Rigault, Tony Moilin,
Gavé le cimetière.
On croyait lui couper les bras
Et lui vider l’aorte.
Refrain
Ils ont fait acte de bandits,
Comptant sur le silence !
Achevé les blessés dans leurs lits,
Dans leurs lits d’ambulance ;
Et le sang inondant les draps
Ruisselait sous la porte.
Refrain
Les journalistes policiers,
Marchands de calomnies,
Ont répandu sur nos charniers
Leurs flots d’ignominies,
Les Maxim’ Ducamp, les Dumas
Ont vomi leur eau-forte.
Refrain
C’est la hache de Damoclès
Qui plane sur leurs têtes.
A l’enterrement de Vallès
Ils en étaient tout bêtes ;
L’fait est qu’on était un fier tas
A lui servir d’escorte.
Refrain
Bref, tout ça prouve aux combattants
Qu’Marianne a la peau brune,
Du chien dans l’ventre et qu’il est temps
D’crier : « Vive la Commune ! »
Et ça prouve à tous les Judas
Qu’si ça marche de la sorte,
Refrain final
Ils sentiront dans peu, Nom de Dieu !)
Qu’la Commune n’est pas morte ! ) (bis)
Quand Jules Vallès mourut, en 1885, plus de soixante mille personnes assistèrent à ses funérailles. Devant une telle foule, Eugène Pottier ne put que se réjouir, en constatant que l’esprit de la Commune n’était pas mort sous les balles des Versaillais qui avaient assassiné Eugène Varlin, le professeur Gustave Flourens, Emile Duval, Jean-Baptiste Millière, Théophile Ferré, Raoul Rigault, Tony Moilin et tant d’autres. Elle n’est pas morte fut donc écrite dans l’enthousiasme des jours qui suivirent l’enterrement de Vallès. La musique utilisée par Pottier est celle de T’en fais pas, Nicolas, de Parizot.
Sauf des mouchards et des gendarmes,
On ne voit plus par les chemins
Que des vieillards tristes aux larmes,
Des veuves et des orphelins.
Paris suinte la misère,
Les heureux mêmes sont tremblants,
La mode est au conseil de guerre
Et les pavés sont tout sanglants.
Refrain
Oui, mais…
Ça branle dans le manche.
Ces mauvais jours-là finiront.
Et gare à la revanche
Quand tous les pauvres s’y mettront ! (bis)
Les journaux de l’ex-préfecture,
Les flibustiers, les gens tarés,
Les parvenus par aventure,
Les complaisants, les décorés,
Gens de bourse et de coin de rue,
Amants de filles aux rebuts,
Grouillent comme un tas de verrues
Sur les cadavres des vaincus.
Refrain
On traque, on enchaîne, on fusille
Tout ce qu’on ramasse au hasard :
La mère à côté de sa fille,
L’enfant dans les bras du vieillard.
Les châtiments du drapeau rouge
Sont remplacés par la terreur
De tous les chenapans de bouge,
Valets de rois et d’empereurs.
Refrain
Nous voilà rendus aux jésuites,
Aux Mac-Mahon, aux Dupanloup.
Il va pleuvoir des eaux bénites,
Les troncs vont faire un argent fou.
Dès demain, en réjouissance,
Et Saint-Eustache et l'Opéra
Vont se refaire concurrence.
Et le bagne se peuplera.
Refrain
Demain, les manons, les lorettes
Et les dames des beaux faubourgs
Porteront sur leurs collerettes
Des chassepots et des tambours.
On mettra tout au tricolore,
Les plats du jour et les rubans,
Pendant que le héros Pandore
Fera fusiller nos enfants.
Refrain
Demain les gens de la police
Refleuriront sur le trottoir,
Fiers de leurs états de service
Et le pistolet en sautoir.
Sans pain, sans travail et sans armes,
Nous allons être gouvernés
Par des mouchards et des gendarmes,
Des sabre-peuple et des curés.
Refrain
Le peuple au collier de misère
Sera-t-il donc toujours rivé ?…
Jusques à quand les gens de guerre
Tiendront-ils le haut du pavé ?…
Jusques à quand la sainte clique
Nous croira-t-elle un vil bétail ?…
A quand enfin la République
De la justice et du travail ?…
Refrain
Quand nous chanterons le temps des cerises,
Les gais rossignols, les merles moqueurs
Seront tous en fête !
Les belles auront la folie en tête
Et les amoureux, du soleil au cœur !
Quand nous chanterons le temps des cerises
Sifflera bien mieux le merle moqueur !
Mais il est bien court, le temps des cerises
Où l’on s’en va deux cueillir en rêvant
Des pendants d’oreilles.
Cerises d’amour, aux robes pareilles,
Tombant sous la feuille en gouttes de sang…
Mais il est bien court, le temps des cerises
Pendants de corail qu’on cueille en rêvant !
Quand vous en serez au temps des cerises
Si vous avez peur des chagrins d’amour,
Evitez les belles !
Moi qui ne crains pas les peines cruelles
Je ne vivrai point sans souffrir un jour…
Quand vous en serez au temps des cerises
Vous aurez aussi des peines d’amour !
J’aimerai toujours, le temps des cerises,
C’est de ce temps-là que je garde au cœur
Une plaie ouverte !
Et dame Fortune en m’étant offerte
Ne pourra jamais fermer ma douleur…
J’aimerai toujours le temps des cerises
Et le souvenir que je garde au cœur !
Contrairement à une opinion souvent répandue, Le temps des cerises ne date pas de la Commune de Paris. Jean-Baptiste Clément en écrivit les paroles en 1866, et Antoine Renard, la musique en 1868, année où elle fut publiée par l’éditeur Charles Egrot. Mais – cela est vrai – cette merveilleuse chanson d’amour symbolise à jamais l’esprit de la Commune dans le cœur de tous les amants de la révolte.
Maurice Bouchor - 1903
Allons les Morvandiaux, chantons la Morvandelle.
Chantons les claires eaux et la forêt si belle.
La truite aux bonds légers dans les roseaux fleuris
Et notre bois flottant qui vogue vers Paris.
Il souffle un âpre vent parmi nos solitudes.
On dit que le Morvan est un pays bien rude.
Mais s’il est pauvre et fier, il nous plaît mieux ainsi.
Et qui ne l’aime pas, n’est certes pas d’ici.
On veut la liberté dans nos montagnes noires.
Nos pères ont lutté pour elle et non sans gloire.
Rêveurs de coups d’état, César de quatre sous,
Les braves Morvandiaux se moquent bien de vous !
Jadis on nous l’a dit, surgirent nos ancêtres.
Brisant le joug maudit de leurs avides maîtres,
Ils firent bien danser les moines, leurs seigneurs,
Repus de leur misère et gras de leur sueur.
Pourtant, nous subissons un reste d’esclavage.
Pourquoi les nourrissons privés du cher breuvage ?
Gardons, ô mes amis, nos femmes près de nous.
Nos filles et nos fils ont droit à leurs nounous.
Allons les Morvandiaux, chantons la Morvandelle,
Les bois, les prés, les eaux, aimés d’un cœur fidèle.
Nos bûches qui s’en vont, Paris s’en chauffera.
Nos gars et leurs mamans, Paris s’en passera.
La Morvandelle (origines, d’après J. Bruley)
En 1903, lors d’un banquet d’instituteurs dans la Nièvre, l’Inspecteur d’Académie, M. Dessey, a invité Maurice Bouchor, un poète qui a écrit des recueils de chants et de poésies destinés aux écoles. Dans ses écrits, Bouchor vante les différentes provinces françaises, mais il n’y a rien sur le Morvan.
Les instituteurs présents évoquent leur région et ses coutumes : eaux vives, forêts, flottage du bois vers Paris, les galvachers, les nourrices… et le conflit qui oppose les moines de la Commune libre de Vézelay, seigneurs du lieu, aux paysans, leurs vassaux, exploités et miséreux.
Bouchor compose alors, sur un vieil air très connu en Morvan, « Le Galant de la Nan-nette », une chanson de six couplets. Très vite, « La Morvandelle » - c’est le titre qu’il a choisi – connaît un grand succès dans les écoles, en particulier celles du Morvan.
Mais, dans les années qui ont suivi, « La Morvandelle » est interdite dans les écoles à cause du couplet sur la Commune de Vézelay qui dérange… On décide donc de supprimer ce couplet, (celui qui commence par « Jadis, on nous l’a dit… ») et la chanson est de nouveau autorisée.
Maryse Martin, chanteuse populaire des années 50, originaire d’Amazy, près de Tannay, dans la Nièvre, où elle a gardé des attaches jusqu’à la fin de sa vie, a repris cette chanson et lui a fait connaître un nouveau succès.
L’Internationale
Eugène Pottier (1871)
Debout les damnés de la terre
Debout les forçats de la faim
La raison tonne en son cratère
C’est l’éruption de la fin
Du passé, faisons table rase
Foule esclave debout debout
Le monde va changer de base
Nous ne sommes rien soyons tout
REFRAIN
C’est la lutte finale
Groupons-nous et demain
L’Internationale
Sera le genre humain
Il n’est pas de sauveurs suprêmes
Ni Dieu ni César ni tribun
Producteurs sauvons-nous nous-mêmes
Décrétons le salut commun
Pour que le voleur rende gorge
Pour tirer l’esprit du cachot
Soufflons nous-mêmes notre forge
Battons le fer quand il est chaud
L'état comprime la loi triche
L'impôt saigne le malheureux
Nul devoir ne s'impose aux riches
Le droit du pauvre est un mot creux
C'est assez languir en tutelle
L'égalité veut d'autres lois
Pas de droits sans devoirs dit-elle
Egaux pas de devoirs sans droit
Les rois nous saoulaient de fumées
Paix entre nous guerre aux tyrans
Appliquons la grève aux armées
Crosse en l'air et rompons les rangs
S'ils s'obstinent ces cannibales
Á faire de nous des héros
Ils sauront bientôt que nos balles
Sont pour nos propres généraux
Ouvriers paysans, nous sommes
Le grand Parti des travailleurs
La terre n’appartient qu’aux hommes
L’oisif ira loger ailleurs
Combien de nos chairs se repaissent
Mais si les corbeaux les vautours
Un de ces matins disparaissent
Le soleil brillera toujours
Hideux dans leur apothéose
Les rois de la mine et du rail
Ont-ils jamais fait autre chose
Que dévaliser le travail ?
Dans les coffres-forts de la banque
Ce qu'il a créé s'est fondu
En réclamant qu'on le lui rende
Le Peuple ne veut que son dû